Charles TOPINO
1742 - 15 décembre 1803

Reçu Maître le 17 novembre 1773



Né à Paris en 1742, Charles Topino trouve sa vocation, comme bien d'autres ébénistes dans l'atelier familial. Il travaille longtemps comme ouvrier libre au faubourg Saint-Antoine avant d'accéder à la maîtrise, le 17 novembre 1773.

Son livre de comptes témoigne d'une activité intense laissant apparaître l'importance d'une sous-traitance pour de nombreux marchands merciers et confrères, cela expliquant la présence d'autres estampilles sur nombre de ses ouvrages.

L
es documents d'archives permettent de mieux connaitre l'existence d'une clientèle privée, non moins importante, parmi laquelle figure le Garde Meuble de la Couronne, dès le 1er juillet 1771, le Marquis de Gravelle, pouvant être considéré comme son client le plus fidèle, Madame de Lasolay, la Comtesse Ferdinand, Madame de Mimbert et Milord Stuart Ventreport. 

De grands collectionneurs, tels que Moïse de Camondo, Richard Wallace et Édouard André l'ont considéré comme faisant partie des ébénistes les plus intéressants de son époque. D'autres, tels que les Dutasta, Polès, Heidelbach, Rothschild, Rockefeller ou Dodge leur ont réservé une place de choix dans leurs collections. On retrouve, également, nombre de ses ouvrages dans les plus grands musées.



Table tambour d'époque Transition
Musée Nissim-de-Camondo, Paris



 Commode demi-lune en bois de rose
Époque Louis XVI
Collection privée



Console desserte en acajou
Époque Louis XVI
Collection privée



Il livra à Boudin des tables légères en laque ou marqueterie et des bonheurs-du-jour et travailla également pour Joubert : la description d'un petit bonheur-du-jour livré par ce dernier en juin 1774 évoque irrésistiblement un meuble de sa production. Le livre journal de Topino, conservé aux Archives de la Seine, consigne toutes leurs commandes. On y apprend que Topino revendait à ses confrères des panneaux de marqueterie.

Les ornements de bronze doré qu'il utilisait sur ses meubles étaient fournis par le fondeur Viret puis ciselés par Chamboin et Dubuisson, dorés par Bécard, Gérard et Vallet.

Les marqueteries, qui constituent le principal attrait de ses meubles, sont de deux sortes : 

Les natures mortes représentant des vases, des théières, des tasses, des jattes, des écritoires et divers ustensiles, ou encore des livres, des cartes à jouer, constituent l'élément le plus caractéristique de sa manière. Elles s'inspirent des motifs observés sur les paravents en laque de Coromandel et semblent avoir été très à la mode dans les années 1770-1775. 

On les trouve sur des petits meubles Transition, pour lesquels Topino marque une nette prédilection, principalement sur des bonheurs-du-jour et sur des petites tables de salon. Parmi les bonheurs-du-jour, certains se présentent sous la forme classique, de plan rectangulaire, mais beaucoup reprennent le modèle de forme ovale que Topino mit au point et dont il semble avoir eu l'exclusivité. Le spécimen conservé par le musée des Arts Décoratifs en offre un exemple typique.


Bonheur du Jour Transition
de forme ovale
Musée des Arts Décoratifs, Paris


A côté de ces décors originaux, Topino a aussi pratiqué les marqueteries de fleurs et de paysages. Les premières apparaissent en plus grand nombre sur les meubles Louis XVI, les secondes (scènes champêtres, scènes dans le goût chinois, architectures), ornent plus fréquemment des petites tables tambour, rondes, sur trois pieds galbés, ovales sur quatre pieds.
Le musée Nissim de Camondo possède un exemplaire de chaque type. 

En 1782, Topino fut nommé député de sa corporation, signe de la considération dont il jouissait alors, mais la Révolution le contraint à déposer son bilan le 21 décembre 1789. 



Les Fournisseurs de Topino

Le faubourg Saint-Antoine, véritable vivier de la fabrication du meuble au XVIIIe siècle, constitue l'épicentre des relations de Topino avec ses fournisseurs, ses confrères, ses marchands-merciers, et sa clientèle. Ces relations complexes, essentiellement interactives, conduisent à reconstituer avec le plus de précision possible, la trame quotidienne des activités de l'ébéniste. A cet égard, la liste des fournisseurs de Topino, telle qu'elle apparaît au gré des pages de son Livre-journal, permet de se représenter non seulement le réseau des ateliers parisiens  du dernier tiers du XVIIIe siècle, mais aussi la chaîne des différents corps de métiers impliqués dans la réalisation d'un meuble. En effet, chaque métier apportait une indispensable contribution depuis le marchand de bois jusqu'au marbrier qui, en livrant son plateau, permettait à l'ébéniste d'apposer sur son meuble la touche finale.


Les marchands de bois

A l'exception du bois exotique qui était importé, les bois indigènes étaient acheminés par flottaison depuis les forêts du centre de la France jusqu'aux berges parisiennes, où ils étaient déchargés et séchés. Leur vente n'était pas exclusivement réservée aux marchands de bois. Les ébénistes en vendaient aussi à leurs confrères. 

Le Livre-journal ne donne que des précisions limitées sur les fournisseurs en bois de Charles Topino. Néanmoins, deux séries de livraisons importantes sont mentionnées, l'une de Boudin, l'autre de Flerkmann. En effet, Léonard Boudin livre, de février 1772 à mars 1775, de nombreuses planches, toises et morceaux de bois indigènes (chêne, sapin, hêtre, noyer), mais aussi de bois exotiques (bois de rose, amarante, satiné, acajou). Les quantités livrées peuvent être importantes, à l'exemple de celle du 16 avril 1773, comprenant 4 337 livres de bois de rose, s'élevant à la somme de 1 648 livres 1 sol 3 deniers....

Le marchand Louis Flerkmann est mentionné en 1775 dans le Livre-journal ainsi qu'en 1789 dans le bilan de faillite de Topino. Il semble avoir été le plus important des marchands de bois de l'ébéniste, eu égard au montant  des commandes et à la durée de leurs relations commerciales, soit quatorze ans. Le 13 juin 1775, par exemple, Flerkmann livrait à Topino 170 planches de chêne et 78 planches de sapin, pour un montant total de 435 livres 4 sols, tandis qu'en 1789, Topino lui devait la somme de 678 livres....


Les artisans du bronze
  
Le rôle de ces artisans est non seulement d'embellir un meuble, mais aussi de le protéger grâce aux éléments en bronze disposés aux points vulnérables du bâti, tels que les pieds et les arêtes. Dans son Livre-journal, Topino mentionne indistinctement fondeurs, ciseleurs, monteurs et doreurs.


Les fondeurs

Topino reporte avec précision les livraisons de "Mr Viret fondeur rue de lappe à paris fbg St Antoine". Il s'agit probablement de Pierre Viret, décédé le 27 mai 1777, rue de Charonne. Cette date corrobore celle des dernières commandes de l'ébéniste au fondeur, enregistrées sur le Livre-journal en août 1776, soit neuf mois avant son décès. Achevés en août 1776, leurs relations commerciales avaient débuté, selon le registre, en juillet 1772.

Il est difficile d'évaluer la fréquence des commandes pendant toute cette période. Toutefois, il n'est pas rare que l'ébéniste ait eu recours jusqu'à trois fois par mois aux livraisons de Pierre Viret. Les fontes étaient alors achetées au poids par Topino.

André Ravrio est le seul autre fondeur figurant dans le Livre-journal. Si aucune commande concernant Ravrio n'est inscrite dans le Livre-journal, plusieurs reconnaissances de dettes y sont portées en avril et mai 1776, s'élevant à la somme totale de 1 172 livres. Ces écritures supposent que Topino ait fait appel à Ravrio pour divers travaux et cela de façon régulière, eu égard au montant élevé dû à ce dernier.

Répertorié comme "sçizeleur rue de Charenton à Paris", Jean-Baptiste Dubuisson incarne avec Topino l'exemple typique de relations fidèles entre deux artisans du faubourg. Le Livre-journal en est d'ailleurs le témoin privilégié, puisque les livraisons de Dubuisson sont minutieusement répertoriées, entre mai 1773 et juillet 1778. En 1789, le nom du ciseleur est cité sur le bilan comme débiteur, à hauteur de 48 livres. De très nombreuses commandes sont passées à Dubuisson qui est sans nul doute, avec le doreur Vallée, le fournisseur privilégié de l'ébéniste durant la décennie que couvre le Livre-journal.

Les bronzes livrés à Topino sont assez sommairement décrits. Leur taille, - petite, moyenne, grande - est seule précisée. En revanche, l'éventail de leur modèle est à l'image de la variété de sa production, large et fournie. Ainsi, le registre décline des griffes, anneaux en lauriers, chapiteaux, rosaces, boutons, genoux ou rosettes. On y trouve également des clous, médaillons, rinceaux, bandes frisées à fleurons, entrelacs à feuilles et entrées de serrures. Les modèles des sabots sont décrits comme étant à "narcelles", cintrées, à rouleaux. Mais ce sont les chutes qui proposent les modèles les plus variés, leur description constituant à elle seule un catalogue naturel édifiant. Ainsi, ces chutes peuvent être à têtes de lion et guirlandes de chêne, à rouleaux, à guirlandes, à feuilles, à ruban, à tête de satyre ou de bélier, ou encore à guirlandes de chêne et de lauriers. 

Ces inventaires colorés et originaux signalent la diversité des modèles et insistent sur le choix mis à la disposition des ébénistes pour orner leurs meubles.


Les monteurs

Un artisan aura, pendant trois années, une importance particulière pour Topino. Il s'agit de "Mr Chambin monteur grde rue du fbg St Antoine". Il semble d'ailleurs qu'il faille lire Chamboin et non Chambin, Topino déformant souvent les noms de ses fournisseurs. Ainsi, il écrit Chambin en avril 1773, Chamboin au mois de septembre suivant, et enfin, Chambon en octobre de la même année ....

Chamboin, puisqu'elle semble être l'orthographe à retenir, offre à Topino deux types de service complémentaires qui, au fur et à mesure de leurs échanges, s'intensifieront. Tout d'abord, conformément à son activité professionnelle, Chamboin monte les bronzes sur les meubles, c'est-à-dire qu'il les fixe. Il réalise aussi des travaux de soudure, ou conjugue parfois ces deux fonctions. Sa seconde activité réside dans la livraison à Topino de garnitures, étant précisé que la garniture représente l'ensemble des pièces en bronze des commodes ou des tables. Elles ont également trait à des éléments isolés, tels que des quarts-de-rond à oves, des galeries, des rosaces, des anneaux, des sabots, des moulures. Les garnitures complètes sont généralement livrées en petites quantités, parfois à l'unité. Les éléments isolés sont, à l'inverse, commandés en plus grand nombre, mais excèdent rarement vingt unités par modèle.

De façon anecdotique, Madame Chamboin est citée dans le Livre-journal en 1774 et 1775 à plusieurs reprises, ainsi que sa fille Sophie, mentionnée jusqu'en 1776. Topino précise qu'elles étaient chargées de remettre au monteur les sommes dont il venait de s'acquitter.

Chamboin n'est pas l'unique monteur de Topino. Deux autres artisans apparaissent en effet sur le bilan, parmi les créanciers. Il s'agit de Gilbert, demeurant Grande rue du Faubourg Saint-Antoine et de Chatelu, installé rue de Charenton. Il convient d'ajouter que Chatelu doit avoir travaillé de façon régulière avec Topino puisque sa créance s'élève à 700 livres, somme assez élevée pour ce type d'activité.


Les doreurs

La longue chaîne des métiers du bronze s'achève par la dorure, touche finale dont l'éclat, plus ou moins brillant, confère au meuble une finition unique. 

L'artisan qui semble avoir le plus travaillé avec Topino est "Vallet doreur grande rue du fbg St Antoine". Il s'agit sans doute de Jean-Baptiste Vallée. Cet artisan, installé à l'enseigne "Au don de la Providence" vis-à-vis du Tambour Royal, fit faillite en septembre 1776. Or, les dernières fournitures livrées à Topino par Vallée, ont été renseignées sur le Livre-journal le 15 juillet 1776, soit un peu plus d'un mois avant la faillite du doreur.
Jean-Baptiste Vallée a travaillé pour Topino entre octobre 1772 et juillet 1776. Plus précisément, Vallée exerçait deux types d'activités distinctes. D'une part, il dorait les bronzes des meubles de Topino et, d'autre part, il lui fournissait, comme Chamboin, des garnitures en bronze, que celles-ci fussent ou non dorées.

Dans le registre, les dorures concernent parfois l'ensemble des bronzes d'un meuble, mais Vallée compose aussi pour Topino les dorures d'éléments séparés. Le prix de la dorure de l'intégralité des bronzes d'un meuble s'élève à environ 35 livres, celui d'éléments séparés à quelques livres seulement.

Deux autres doreurs, Bécard et Gérard, sont mentionnés en 1789 dans le bilan et peuvent être associés à la seconde période de la carrière de Topino, c'est-à-dire à partir de 1780.



Le serrurier

Carto est le seul nom de serrurier connu. Demeurant faubourg Saint-Antoine, il est mentionné en 1789 sur le bilan, en vertu d'une créance de 647 livres et d'une dette de 477 livres. Toutefois, son commerce avec Topino ne se limita pas aux dernières années professionnelles de l'ébéniste puisque son nom est inscrit sur le Livre-journal le 6 avril 1775, soit quatorze ans plus tôt.


Les marbriers

Les marbriers, en "coiffant" les meubles, apposent l'ornement décoratif final. Le Livre-journal ne donne pas de précisions quant aux marbriers de l'ébéniste, mais le bilan en cite deux parmi les créanciers : la veuve Landot, "marbrière cour des quinze-vingt" et Dumé, "marbrier passage des quinze-vingt". Leurs créances s'élèvent respectivement à 215 et 250 livres.





Charles TOPINO
1742 - 15 décembre 1803

Master in 17 November 1773


Born in 1742, Topino worked for a long time as an independant craftsman before being received master in 1773. Settled in the rue du Foubourg-Saint-Antoine, he specialized in pieces of light furniture, small tables, bonheurs-du-jour and chiffonnières, and perfected a type of bonheur-du-jour of oval form for which he seems to have had the monopoly. The marquetry decoration which is the chief attraction of these pieces consists of two types : 
  • Still-lifes with teapots, vases and various ustensils in chinoiserie taste, derived from motifs on Coromandel lacquer screens. These would seem to have been very fashionable between 1770 and 1775.
  • Garlands and bouquets of flowers highlighted on a ground of pale wood, citronnier or yellow-stained maplewood, found on furniture between 1775 and 1780.

Among his clientèle he counted members of the French aristocracy, but above all his colleagues the marchands-ébénistes Héricourt, Dautriche, Migeon, Denizot, Moreau, Delorme, Tuart and Boudin. For the latter he made light tables in lacquer or marquetry and bonheurs-du-jour. Topino's day-book preserved in the Archives de la Seine contains orders from all these marchands-ébénistes, and makes clear that Topino sold marquetry panels to his colleagues. Topino also worked for Joubert. The description of a small bonheur-du-jour delivered by the latter in June 1774 gives the unmistakable impression of a piece of furniture by Topino (see Alexandre Pradère p. 320).

The gilt-bronze mounts with which Topino embellished his furniture were cast by Viret, chased by Chamboin and Dubuisson, and gilded by Bécard, Gérard and Vallet.

In 1782 Topino was elected deputy of his guild, a measure of the esteem in which he was held. Nevertheless, his finances were, according to Salverte, in the greatest disorder, a chronic state of affairs exacerbated by the Revolution, so that in December 1789 he was declared bankrupt.

 
Bibliographie

"Charles Topino"
  Les Cahiers du Mobilier
  Sylvain Barbier Sainte Marie
  Les Éditions de l'Amateur - 2005


"Le Mobilier Français du XVIIIème Siècle"
  Pierre Kjellberg
  Les Éditions de l'Amateur - 1989


"Les Ébénistes Français de Louis XIV à la Révolution"
  Alexandre Pradère
  Paris - 1989

"French Furniture Makers, The Art of the Ebéniste from Louis XIV to the Revolution"
  Alexandre Pradère
  Paris - 1989