Gilles JOUBERT
1689 - 14 octobre 1775
Admis à la maîtrise à l’époque de la Régence, bien avant que
l’usage de l’estampille n’ait été imposé par les statuts de 1743, il commence à
travailler, dès 1748, pour le Garde-Meuble de la Couronne. Il en devient ébéniste
ordinaire dix ans plus tard. De 1763 à 1774, il succède à Jean-François Oeben
et précède Riesener dans les fonctions d’ébéniste du Roi. Il se retire à
quatre-vingt-cinq ans, peu de temps avant sa mort.
Joubert ne semble pas avoir signé les meubles exécutés pour
la cour, et seules les archives du Garde-Meuble permettent de connaître
l’importance de ses livraisons. Comme il n’avait pas davantage estampillé ses
productions d’avant 1743, il faut conclure que nombre de ses meubles restent
anonymes.
Gilles Joubert, qui avait épousé une cousine de son confrère
Migeon, s’établit rue Sainte-Anne, où il restera sa vie durant. D’abord
modestes, les commandes de la Couronne se multiplient rapidement en même temps
que sa réputation s’accroît. Au point qu’en 1755 il est choisi pour exécuter
deux somptueuses encoignures destinées à accompagner la non moins riche commode
médailler du cabinet du Roi à Versailles, livrée par Gaudreaux en 1739 : «
16 mai 1755. Livré par le sieur Joubert,
ébéniste : deux armoires en encoignures de bois violet à placage en
mosaïque, à dessus de marbre griotte d’Italie […] orné de cartouches, trophées
de médailles, guirlandes de fleurs et bas-reliefs, représentant l’un la Poésie
et la Musique, et l’autre la Sculpture et la Peinture, sur camayeux façon de
lapis, le tout de bronze ciselé et doré d’or moulu. » Avec l’ingénieur
Guérin de Montpellier, il participe aussi à l’exécution de la célèbre «table
volante» du château de Choisy, destinée, avec la partie centrale mobile
descendant et remontant les plats, aux soupers du roi Louis XV.
Une fois nommé au poste d’ébéniste du Roi, il devient une
sorte de maître d’œuvre vers lequel convergent toutes les commandes de
fournitures pour les demeures royales. Ces commandes prennent une telle ampleur
qu’il ne peut seul y pourvoir et doit en sous-traiter une partie à des
confrères. C’est ainsi que certains meubles identifiés, grâce au journal du
Garde-Meuble, comme ayant été livrés par Joubert, portent non pas son
estampille mais celles de RVLC, Marchand, A.M. et M. Criaerd. On peut toutefois
considérer qu’ils furent exécutés sous sa direction et selon ses instructions
précises et détaillées.
Par le journal du Garde-Meuble conservé aux Archives
nationales, on peut se faire une idée de l’activité considérable déployée par
Joubert pour satisfaire aux commandes de la cour. Très tôt, il fournit
plusieurs meubles au Dauphin, dont un certain nombre de tables de jeu, puis,
comme on l’a vu, il livre en 1755 les encoignures médaillers du cabinet du Roi,
aujourd’hui retournées dans leur pièce d’origine à Versailles après être
longtemps restées au cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale. Le 29
décembre 1759, est placé à Versailles, toujours dans le cabinet du Roi, un
grand bureau plat aux formes majestueuses héritées de la Régence, mais revêtu
par Joubert d’un chatoyant décor de laque rouge et or à décor chinois. Les
bronzes, très exceptionnels, comprennent des motifs rocailles, de souples
feuillages, des fleurs très naturalistes, des acanthes. Donné par Louis XVI au
comte de Provence en 1786, ce meuble sera vendu au moment de la Révolution. Il
s’agit probablement du bureau de la collection Wrightsman de New York. C’est
encore à Versailles qu’à la même époque prennent place, cette fois dans la
chambre du Roi, deux régulateurs de Joubert, ornés de bronzes aux attributs de
Diane et d’Apollon.
Gilles Joubert travaille aussi pour les filles de Louis XV,
en particulier Mme Adélaïde, pour laquelle il exécute, en 1755, un meuble
original qui a, lui aussi, regagné Versailles après avoir été perdu et
retrouvé. Il s’agit d’une commode à portes en vernis Martin, à décor de
bouquets et guirlandes de fleurs en camaïeu rouge sur fond camomille :
« Livré par le sieur Joubert
ébéniste pour servir à Mme Adélaïde à Versailles […], une commode vernie de
Martin fond blanc à fleurs et filets rouges et dessus de marbre serancolin,
faite en armoire à deux battants fermant à clef, ornée d’une entrée de serrure
et de chaussons en griffes de lion, de cuivre ciselé et argenté »
(journal du Garde-Meuble, 11 janvier 1755). A la fois simple et pleine de
charme, cette commode, dont le vernis blanc d’origine a jauni de la plus
heureuse façon sous l’effet de la lumière, porte la marque au feu du château de
Versailles, le poinçon de jurande et la trace d’une estampille illisible.
Vendue autrefois à un amateur étranger comme vénitienne, elle a réapparu en
vente à Londres en 1965, où elle a été acquise pour le château de Versailles.
La grande commode à encoignures de style Transition que
possède le musée Paul-Getty, en Californie, a été livrée par Joubert le 27 août
1769 pour la chambre à coucher de Mme Louise, autre fille du Roi, à Versailles.
Pas davantage estampillée que les pièces précédentes, elle a pu être identifiée
grâce à un numéro d’inventaire. D’une rare opulence, avec sa marqueterie de
treillis à rosettes métalliques et son très riche décor de bronzes, ce meuble,
qui figura à l’exposition Louis XV à
l’hôtel de la Monnaie en 1974 (n° 422), fait partie de ces ouvrages qui ont pu
être sous-traités par Joubert à des confrères. Le nom de Roger
Vandercruse-Lacroix (RVLC) est suggéré par analogie avec une autre commode de
forme et de dimensions similaires livrée aussi en 1769 par Joubert, mais pour
Mme Victoire à Compiègne, et qui, elle, porte l’estampille de RVLC (Frick
Collection, New York).
Les deux encoignures de style Louis XVI exécutées en 1773
pour le comte d’Artois (Wallace Collection, Londres) viennent compléter la
petite série des meubles de commande aujourd’hui identifiés. « Du 30 novembre 1773, livré par le sieur
Joubert […]. Pour servir à M. le Comte d’Artois au château de Versailles. N°
2727 – Deux encoignures de bois violet et rose à dessus de marbre griotte
d’Italie, ayant par devant un guichet fermant à clef, enrichies d’encoignures, casques,
masques cizelez et dorez d’or moulu […]. » Ces quelques descriptions
ne donnent qu’un faible aperçu des nombreuses commandes révélées par les
archives du Garde-Meuble. On y trouve mention de travaux pour la Reine, pour la
dauphine Marie-Antoinette (commode en marqueterie ornée de figures d’enfant en
bronze), pour la marquise de Pompadour, pour la comtesse de Provence, pour
Mesdames, etc. Joubert fournit aussi des meubles pour le petit Trianon, qui
vient d’être achevé, pour le château de Fontainebleau (petite table Louis XV en
marqueterie florale livrée en 1770, musée du Louvre) et pour le château de
Saint-Hubert, rendez-vous de chasse du Roi. A la qualité s’ajoute la quantité,
car des meubles très simples, d’usage courant, font partie de ses envois. En
1171, qui semble aussi avoir été son année la plus prolifique, il reçoit, en
paiement de ses livraisons à la cour, la somme considérable de quatre-vingt
mille livres pour une vingtaine de commodes, cinq bureaux, trois tables à
écrire, trois bibliothèques, deux encoignures, mais aussi une table de nuit,
une chaise d’affaire, trois bidets, etc.
Comme on vient de le constater au vu des meubles royaux ou
princiers, Joubert a su s’adapter à l’évolution du goût tout en restant très
classique, passant d’un style Louis XV fort éloigné des excès de la rocaille à
un style « à la grecque »
plein de noblesse. A côté des nombreux ouvrages destinés au Garde-Meuble de la
Couronne, il a produit des meubles plus simples sur lesquels figure son
estampille. Si l’on en juge par leur rareté, l’ébéniste du Roi – il signait de
son nom entre deux fleurs de lys – n’a pas dû pouvoir consacrer beaucoup de
temps à sa clientèle privée. Ces meubles sont de belle qualité mais de type
classique, sans originalité particulière. A signaler cependant un petit bureau
de pente Louis XV, marqueté de fleurs en bois de bout, vendu à Paris le 9 juin
1976. Le célèbre BVRB aurait tout aussi bien pu estampiller cet ouvrage d’une
rare élégance.
Bibliographie
"Le Mobilier Français du XVIIIème Siècle"
Pierre Kjellberg
Les Éditions de l'Amateur - 2002