Jean-Pierre LATZ
L'un des plus grands ébénistes du temps de Louis XV, en dépit du nombre relativement restreint de meubles estampillés, aujourd'hui répertoriés. Le style de ses ouvrages, la qualité exceptionnelle de ses marqueteries et de ses bronzes permettent de le placer pratiquement au niveau du célèbre Bernard II Van Risen Burgh (BVRB). Grâce aux recherches d'Henry Hawley, du musée de Cleveland, il est aujourd'hui possible de mieux cerner la vie et l'œuvre de cet artisan peu connu.
Né dans la région de Cologne, Jean-Pierre Latz vient à paris en 1719, sans doute après avoir effectué son apprentissage dans son pays natal. Il est naturalisé Français en 1736 et, trois ans plus tard, épouse la fille d'un entrepreneur en bâtiment, Marie-Magdeleine Seignat. A peu près à la même époque, il obtient un brevet d'ébéniste privilégié du Roi qui lui permet d'utiliser une estampille sans avoir accédé à la maîtrise. Il s'établit rue du Faubourg Saint-Antoine, dans un immeuble à l'enseigne du "Saint-Esprit". Au cours des années 1740, dans ses vastes ateliers où l'on comptera jusqu'à neuf établis d'ébénistes et trois de ciseleurs, sa production ne cesse de s'accroître en même temps que sa renommée. Il fournit des marchands-merciers et, par leur intermédiaire ou directement une riche clientèle et plusieurs souverains européens : le roi de Prusse Frédéric II, le roi de Pologne et électeur de Saxe, auguste III, la duchesse Louise-Élisabeth de Parme, fille aînée de Louis XV. Rien d'étonnant à ce qu'un certain nombre de meubles estampillés ou attribués à Latz se trouvent aujourd'hui à Postdam, dans des châteaux des environs de Dresde, enfin au palais du Quirinal à Rome, actuelle résidence du président de la République, où une partie du mobilier de Parme fut transportée après l'unification du royaume d'Italie.
De nombreux artisans sculpteurs, fondeurs, ciseleurs, doreurs, vernisseurs travaillent pour Latz. Ils seront mentionnés au titre de créanciers lors de son décès. Mais comme on l'a constaté par l'énumération des établis présent dans les ateliers, il réalise lui-même certains de ses bronzes,ce qui lui vaudra plusieurs conflits avec la communauté des fondeurs.Enfin, il collabore régulièrement avec des horlogers, pour lesquels il exécute de très nombreuses boîtes de pendules qui, selon Henry Hawley, représentent la part prédominante de sa production. On n'en compte pas moins de cent soixante-dix, dont une destinée au roi de Prusse, dans l'inventaire après décès de 1754. Sa veuve conserve son atelier mais ne lui survit que deux ans. A sa mort, en 1756, un nouvel inventaire sera effectué.
Des Régulateurs
A Waddesdon Manor, près de Londres, un régulateur marqueté de fleurs et de rinceaux en bois de bout, orné de bronze rocailles, porte l'estampille de Latz. D'autres non signés, lui sont attribués, en particulier deux exemplaires identiques, de forme très mouvementée, vendus à Monte-Carlo en 1982 et en 1984.
Des Commodes
Presque identiques par leur décor de bronzes, différentes par leur placage et leur marqueterie, trois commodes forment un groupe homogène très caractéristique dans l'œuvre de Latz. La seule qui est estampillée se trouve au palais du Quirinal à Rome et provient de la cour de Parme. C'est aussi la plus originale par son placage ondé de racine de noyer qui met en valeur une vaste composition de rinceaux, de palmes, de feuillages déchiquetés en bronze dessinant un large cartouche central. Ce même décor de bronzes figure sur une autre commode du palais du Quirinal, non estampillée, ornée d'une marqueterie de branchages fleuris. Marqueterie encore, mais cette fois d'une grande corbeille de fleurs, et bronzes d'un dessin identique mais avec des variantes notables dans les chutes d'angle et les poignées ornent la troisième commode non signée, passée en vente à Paris en 1981.
Des Encoignures
Non moins homogène apparaît un groupe d'encoignures dont on connaît trois paires, très proches les unes des autres. De même avec leur galbe assez accusé et leur cul-de-lampe formant pied central, elles ouvrent à deux vantaux et un tiroir et sont ornées de marqueterie et d'un riche décor de bronzes rocailles. Les deux encoignures des anciennes collections Josse (vente à paris les 28 et 29 mai 1984, n° 158 et 159) et Burat (galerie Charpentier, 17 et 18 juin 1937, n° 143) sont marquetées de branches de fleurs en bois teintés Elles portent à côté de l'estampille de Latz, celle de Boudin, lequel a dû les vendre bien après la mort de leur auteur. Une seconde paire d'encoignures, estampillées "Artz", marquetées de tiges fleuries en bois de bout, a fait successivement partie des collections Wildenstein, Akram Ojjeh (vente à Monte-Carlo en 1979) et Charles Clore (Monte-Carlo, 1985). Les deux meubles portent également la marque du château d'Eu. La troisième paire, dépourvue d'estampille mais provenant du château d'Anet, est passée en vente, toujours à Monte-Carlo, en 1981. Ces deux encoignures sont marquetées de branchages fleuris qui semblent s'échapper d'une sorte de grenade ou grosse graine posée sur des feuilles, un motif que l'on retrouve sur des meubles estampillés "Artz" mais également signés par d'autres ébénistes.
D'autres meubles, peut-être moins caractéristiques mais toujours de premier ordre, jalonnent la carrière de Latz. Il s'agit de commodes, de bureaux plats, enfin de petits meubles où l'ébéniste, avec une exceptionnelle habileté, parvient à alléger ses décors de bronzes sans rien abandonner du raffinement qui caractérise l'ensemble de son œuvre.
Il reste à préciser qu'à l'image de tous ses confrères, même les plus prestigieux, Latz a réalisé des meubles très simples, bien que toujours soignés. Il a aussi fabriqué des modèles traditionnels rappelant parfois la Régence.
L'usage de l'estampille, ayant été rétabli, comme on le sait, par les statuts de 1743, rendus effectifs par un décret enregistré en 1751, on ne peut s'étonner de trouver si peu de meubles signés de Latz. Sans doute n'a-t-il estampillé régulièrement ses ouvrages que dans les dernières années de sa carrière. Plusieurs meubles ont dû être signés par sa veuve entre 1754 et 1756. Tous les autres restent anonymes. Quelques uns sont probablement attribués par erreur à d'autres ébénistes. On constate par ailleurs de troublantes analogies entre certains des meubles les plus typiques de l'ébéniste et des modèles signés par des confrères, au point que l'on peut se demander si ces derniers n'ont pas apposé leur marque sur des ouvrages acquis après son décès.
Bibliographie
"Le Mobilier Français du XVIIIème Siècle"
Pierre Kjellberg
Les Editions de l'Amateur - 2002